
Peuplé d’une multitude d’animaux sauvages, domestiques et fantastiques, le bestiaire de Cartier révèle la richesse de son style et de son savoir-faire.
Une grande diversité d’animaux
Le thème animalier intègre très tôt le répertoire de Cartier, comme en attestent dès les années 1860 les registres de la Maison, aujourd’hui conservés dans les archives. Ainsi, en 1861, ceux-ci font-ils mention d’un bracelet orné d’abeilles impériales acquis par la princesse Mathilde Bonaparte. Son compte comporte également une broche en turquoise et diamant représentant un scarabée achetée en 1856.
Libellules, papillons et autres insectes peuplent les créations du joaillier dès la seconde moitié du XIXe siècle. Leur réalisation se perpétue dans les décennies suivantes et revêt parfois un caractère symbolique comme pour le scarabée, très présent sur les pièces d’inspiration égyptienne. L’introduction des pierres fines offre une nouvelle palette de couleurs et d’effets, illustrant parfaitement la diversité des anatomies. En témoignent les broches-pinces papillon acquises par l’actrice française Josette Day en 1945, dont le métissage du corail, de l’or jaune et de l’émail noir restitue la subtilité des couleurs de l’insecte. Quant à la coccinelle, animal porte-bonheur, elle rencontre un vif succès dès les années 30, et tout au long des décennies suivantes, sous forme de puces d’oreilles et de broches.


Dans le répertoire des animaux ailés, les oiseaux occupent une place déterminante. La diversité de leur plumage et la grâce de leur silhouette se prêtent parfaitement à la joaillerie, comme l’illustrent les pièces des années 40 et 50. À l’époque, Jeanne Toussaint, alors directrice de la création, encourage l’emploi des pierres fines pour figurer l’anatomie des volatiles. Oiseaux de paradis, hiboux, paons et perroquets prêtent ainsi leur allure gracile et leurs longues plumes à d’adorables broches. Parmi les plus célèbres : des bijoux patriotiques, imaginés par Jeanne Toussaint, représentant un oiseau en cage qui symbolise l’oppression de la population française pendant la Seconde Guerre mondiale, puis un oiseau libéré célébrant la Libération.
Parmi les fauves, la panthère est l’animal le plus emblématique depuis son apparition en 1914. Elle est même aujourd’hui une icône de la Maison. Cousin de la panthère, le tigre sera également mis à l’honneur par le joaillier. Or jaune, diamant, émail noir et onyx exaltent sa fourrure graphique tandis que sa silhouette se prête avec souplesse à toutes sortes de créations.
Tout aussi prédateurs, les reptiles prêtent leur force et leurs lignes sinueuses au dessin des bijoux. Dès les années 1870, salamandres et serpents sont représentés de façon naturaliste sur des broches ou des épingles à chapeaux. En 1919, le corps du serpent s’enroule autour du cou pour un très précurseur collier en platine et diamant. La souplesse des lignes de la pièce, inédite à l’époque, transpose avec réalisme la silhouette de l’animal. La forme du bijou est reprise en 1997 avec le collier Eternity, soutenant deux spectaculaires émeraudes issues des mines de Chivor, en Colombie.
Le thème des reptiles constitue un champ d’imagination immense, qui se renouvelle au fil des décennies. En 1975, le crocodile est mis à l’honneur avec une commande de María Félix. Cartier réalise pour elle un collier saisissant de réalisme, composé de deux animaux séparables et entièrement articulés. Depuis lors, le crocodile s’invite régulièrement sur des créations d’exception, à l’instar du collier Orinoco présenté en 2014 à l’occasion de la Biennale des Antiquaires de Paris.


Très populaires dans les années 1920, dragons et chimères évoquent les civilisations lointaines de l’Extrême-Orient. La complexité de leur anatomie hybride permet de diversifier au fil des décennies leur traitement : sur des bijoux, pendules et objets précieux. Emblématiques du bestiaire de la Maison, ils se voyaient dédier en 2008 une collection de Haute Joaillerie.

Poissons, coquillages et tortues sont également représentés dans la ménagerie de la Maison. Leurs écailles et leur carapace sont sublimées dans une grande diversité de pierres. La tortue se distingue : elle apparaît notamment sur nombre de broches dès les années 1930, ainsi que sur des pièces d’horlogerie.
Le bestiaire Cartier explore les horizons les plus lointains. En 2012, par exemple, la collection de Haute Joaillerie rend hommage aux territoires polaires. Familles d’ours et de pingouins composent pour l’une le centre en calcédoine d’un collier, et pour l’autre une broche en opale et pierre de lune.


Le savoir-faire au service du réalisme
Chez Cartier, les représentations animales épousent au plus près les anatomies et les attitudes, dans une volonté de réalisme chère à la Maison. Pour se faire, les artisans s’approprient des techniques anciennes et développent des mécanismes complexes.
Exclusif à Cartier, le serti pelage désigne une technique propre aux créations félines. Il consiste à encercler la pierre de minuscules fils de métal rabattus, imitant ainsi le pelage de l’animal. Les ocelles et rayures d’onyx, de laque noire ou de saphir se parent de cet effet saisissant de vitalité.
Afin de pousser plus loin l’illusion de réalité, Cartier imagine des structures ingénieuses qui semblent donner vie aux animaux. En 1953, les ailes d’une broche libellule sont montées « en tremblant », chacune étant reliée au corps de l’insecte par un ressort. Ce mécanisme permet aux ailes de se mouvoir, la libellule paraissant ainsi prête à s’envoler.

Par la suite, des systèmes d’articulation seront élaborés, permettant à certaines parties du corps des animaux de bouger, comme sur les pendants d’oreilles tigre commandés par Barbara Hutton en 1961. Autre exemple : le collier serpent commandé par María Félix en 1968, véritable prouesse d’habileté qui demanda de nombreux mois de travail aux ateliers parisiens. La structure de son corps est composée d’anneaux indépendants reliés par un système complexe, conférant au bijou une souplesse proche de celle de l’animal vivant. La généralisation de la fonte à la cire perdue au tournant de 1980 a profondément enrichi les registres d’expression des animaux. Jusqu’alors martelés dans l’or, ils sont désormais sculptés dans la cire, laquelle est ensuite fondue dans le métal précieux. Cette technique permet ainsi de détailler précisément anatomies et attitudes, poussant encore plus loin le naturalisme de la représentation.
Stylisation et abstraction
En parallèle de la veine naturaliste, le bestiaire de Cartier explore aussi les voies de la stylisation et de l’abstraction pour des créations toujours plus originales.
Le pelage et le cuir sont des motifs privilégiés. Dès le XIXe siècle, les registres témoignent de la présence de pièces à motifs d’écaille de reptile. En 1914, les taches de la panthère intègrent le répertoire de Cartier puis, dans les décennies suivantes, les rayures du tigre ou du zèbre. Au tournant des années 2000, le pelage des animaux se stylise jusqu’à la décomposition : sur des colliers et bracelets, les ocelles de la panthère sont graduellement pixélisés en une cascade de pierres ruisselant dans le prolongement de son corps. Par un jeu d’optique, la composition impulse ainsi mouvement et vitalité au félin. Sur d’autres créations, plus abstraites encore, l’animal s’efface au profit de la force graphique du dessin : pour un bracelet de 2013, l’inspiration du zèbre n’est évoquée que par des stries nerveuses d’onyx, qui rythment un dessin vibrant d’énergie.


L’anatomie animale représente également un large champ d’imagination pour les artisans de la Maison. Le corps sinueux des reptiles, la musculature des félins ou encore les courbes des oiseaux se prêtent parfaitement à des interprétations stylisées. En 1952, la silhouette du serpent est suggérée sur un bracelet en or par la représentation de ses écailles et la souplesse du bijou. La stylisation des corps se traduit aussi par une géométrisation accrue des formes, au profit d’une structure plus architecturée. Les bagues à tête de panthère et de tigre, réalisées dans les années 2000, offrent des profils facettés très expressifs, sans concession au réalisme cher à la Maison.


La stylisation des animaux se poursuit jusqu’à l’abstraction. Les détails de leur anatomie sont évoqués par l’audace du dessin qui, en alliant jeux des formes et des matières, révèle sa propre force esthétique. En 2014 par exemple, un bracelet pavé de diamants et de saphirs, rappelant des ocelles, est composé en son centre de saphirs taille baguette surlignés de laque noire, dans une évocation inédite de l’iris de la panthère. Trois ans plus tard, deux créations horlogères poussent encore plus loin les limites de l’abstraction animalière : l’une s’inspire des motifs hexagonaux présents sur le ventre du serpent dans une construction géométrique aussi architecturée que graphique ; l’autre du caméléon, dont l’œil rotatif est suggéré par une montre à secret placée au revers d’une tourmaline ronde pivotante, alors que le cuir versicolore du reptile est subtilement restitué par une palette métissant tourmaline, turquoise et onyx.



Des animaux comme alter ego
Depuis toujours, l’homme associe des caractères et des sentiments aux animaux qui l’entourent. Le traitement de ces expressions se retrouve dans la figuration animalière de la Maison, et ce dès le début du XXe siècle avec sa production de petites sculptures en pierre dure. Cochon assoupi, poussin sortant de son œuf ou encore inséparables blottis l’un contre l’autre constituent une délicate ménagerie aux attitudes diverses.

Quelques décennies plus tard, des canards non dénués d’une certaine dérision font leur apparition sur des broches réalisées dans une grande variété de pierres. Ces volatiles se parent de chapeaux, cannes et autres accessoires dans un registre humoristique. Une broche-pince réalisée par Cartier Londres en 1925 et nommée « La pie va au bal » illustre parfaitement cette veine malicieuse.
Perruches, caniches et autres animaux domestiques entrent dans la ménagerie de Cartier au cours des années 50. Ces petites figurines plaisent particulièrement à la princesse Grace de Monaco, qui possédait notamment dans sa collection des broches à l’effigie de chiens et d’oiseaux. L’une d’entre elles, une broche caniche, se distingue par son volume : de petites perles déposées sur le corps de l’animal dessinent son pelage cotonneux.

Comme la princesse, d’autres clientes de la Maison se sont éprises d’animaux fétiches, alter ego de leur personnalité. À l’instar de Jeanne Toussaint, la duchesse de Windsor est connue pour son goût pour les félins, et plus particulièrement la panthère. Après avoir fait l’acquisition de deux broches à l’effigie du fauve, la duchesse achète en 1952 un bracelet panthère entièrement articulé. Autre grande amatrice de félins, Barbara Hutton se tourne vers le tigre, qu’elle possède sous forme de pendants d’oreilles, de broche et de bracelet. Enfin, les crocodiles et serpents restent l’apanage de María Félix, qui les collectionne sous différentes formes.
