Ganna Walska

Au fil d’une vie d’exception, Ganna Walska (1887-1984), cantatrice d’origine polonaise, a constitué une importante collection de bijoux. Parmi eux, on compte nombre de créations Cartier.
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Jeunesse slave

Ganna Walska, Hanna Puacz de son vrai nom, voit probablement le jour à Brest-Litovsk en 1887, sans que cela soit certain. Elle-même assure, dans son autobiographie, avoir grandi en Pologne, où elle épouse le baron russe Arcadie d’Eingorne à l’âge de 17 ans. Ensemble, ils s’installent à Saint-Pétersbourg, jouissant des nombreux bals et opéras qu’offre la cité des tsars. Peut-être est-ce là qu’est née la vocation de Ganna : devenir cantatrice. Pourtant, si sa passion pour le bel canto est certes sincère, ses capacités vocales n’en seraient pas pleinement à la hauteur selon plusieurs de ses contemporains.

Un opéra matrimonial

Après un court passage en Suisse où le baron a tenté de se remettre d’une tuberculose, qui lui a finalement été fatale, Ganna s’établit vers 1910 à Paris afin d’y suivre des leçons de chant. Elle commence peu après à se produire dans diverses salles de music-hall. Sur les programmes des concerts ne figure pas son identité civile, mais un nom de scène : Ganna Walska.

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Elle expliqua ce choix comme une réminiscence patronymique de ses origines : « Comme tous les Polonais, j’aimais danser, et tout particulièrement la valse. Si bien que, soudainement, je me suis dit : “Waltz, Valse, Walska”. »

En 1915, elle s’embarque pour l’Amérique afin d’y développer sa carrière. Elle y rencontre son second mari, Joseph Fraenkel, laryngologue new-yorkais, qu’elle consulte pour un mal de gorge. Dix jours plus tard, le couple convole en justes noces. Le mariage sera toutefois de courte durée : le praticien décède en 1920, laissant à son épouse un héritage considérable.

Jeune veuve, Ganna fait la rencontre d’Harold Fowler McCormick. Riche industriel de Chicago, il est aussi le généreux mécène de l’opéra de la ville, auprès duquel il obtient un contrat pour la cantatrice. Un seul obstacle s’oppose à l’union des deux mélomanes : McCormick est marié avec Edith Rockefeller, fille du patriarche de l’illustre dynastie américaine.

En attendant que le divorce soit prononcé, il lui présente l’un de ses amis au cours d’une traversée de l’Atlantique : Alexander Smith Cochran. « le célibataire le plus riche d’Amérique », comme le surnomme la presse, tombe sous le charme de Ganna, à qui il propose aussitôt de l’épouser. Le mariage est célébré à Paris en septembre 1920. En cadeau, Cochran lui offre la sélection de son choix chez Cartier.

Néanmoins, dès leur retour à New-York, les relations du couple s’enveniment. La cantatrice compte plus que tout poursuivre sa carrière, hors Cochran se montre très réticent à ce qu’elle monte sur scène, celui-ci lui reprochant ses absences répétées. Ganna obtient le divorce en 1922 et emménage à Paris, où elle acquiert le Théâtre des Champs-Élysées – une institution musicale renommée chère aux mélomanes.

Entre-temps, Harold Fowler McCormick est parvenu à persuader Edith Rockefeller d’accepter le divorce. Ses noces avec Ganna sont célébrées durant l’été 1922 à Paris, avant que le couple s’installe aux États-Unis.

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L’année suivante, la cantatrice acquiert auprès de Cartier deux colliers remarquables. Le premier, orné de sept gouttes émeraude, d’un poids total dépassant 160 carats, est une pièce majestueuse avec laquelle la diva polonaise se fera photographier à plusieurs reprises. Quant au second, composé d’une rangée de boules saphir et émeraude, il comprend une imposante émeraude de 256,60 carats en pendentif, gravée de motifs végétaux. Cette dernière création connaîtra plusieurs transformations.

Le saphir des Romanov

En 1929, Ganna Walska achète auprès de Cartier New York un saphir de 197,80 carats à la surface intégralement facettée. Une gemme historique ayant appartenu aux Romanov, récemment déchus, et pour laquelle elle n’a pas hésité à multiplier les interprétations joaillières à partir du second collier acheté en 1923 et évoqué plus haut. Dans un premier temps, elle fait intercaler le saphir sur l’un des côtés, comme en témoigne une rare photographie. Puis, quelques mois plus tard, en décembre 1929, elle demande à Cartier de le placer en pendentif, au-dessus de l’émeraude de 256,60 carats.

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Une collection au goût oriental

Cette même année, Ganna Walska complète sa collection de bijoux naissante avec un bracelet aux têtes de chimère en corail sculpté. Couronnés chacun d'un saphir, les deux reptiles mythologiques au regard de diamant maintiennent deux émeraudes côtelées entre leurs crocs. Tout du long du bracelet, des motifs d’émail de couleur serpentent librement, accentuant l’inspiration orientale de l’ensemble.

L’Orient… C’est l’une des thématiques majeures de la collection joaillière de Ganna Walska. Un Orient vaste, qui s’étend depuis la Perse jusqu’en Chine, en passant par l’Inde. Un Orient fabuleux, riche de ses contes merveilleux et de ses traditions ancestrales. Un Orient précieux, où s’ajoutent aux pierres finement gravées les matières les plus rares, tel que le jade. Ganna Walska possède d’ailleurs une ceinture réalisée en 1930 par Cartier à partir de 21 disques de la fameuse gemme verte, décorés de motifs asiatiques et sertis en leur centre de rubis. Parmi d’autres pièces, on peut également évoquer les deux pendules « chinoises » de 1923 et 1929, de même qu’un collier « indien » magnifié de dix impressionnants diamants de forme triangulaire, exécuté par Cartier Paris en 1935.

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En parallèle de son goût pour un Orient sublimé par l’art de Cartier, Ganna Walska a également fait l’acquisition, en 1929, de pièces résolument innovantes. On songe notamment ici à ce bracelet à la forme tubulaire façonné de demi-disques de cristal de roche (similaire à ceux acquis par l’actrice Gloria Swanson en 1932) qui, par son volume, marque une révolution dans la joaillerie jusqu’ici plus habituée à des surfaces planes.

Une vente historique

Le couple Walska-McCormick se sépare en 1931. Ganna se réinstalle alors à Paris, où elle se consacre à son théâtre et à une vie mondaine. En 1938, elle épouse son cinquième mari, Harry Grindell Matthews, célèbre inventeur anglais, qui succombe à une crise cardiaque deux ans plus tard.

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De nouveau veuve, Ganna retourne aux États-Unis, où elle épouse son dernier conjoint : Theos Bernard, professeur de yoga et adepte du dénuement matériel. Il la sensibilise à la spiritualité tibétaine et parvient à la convaincre d’acheter une propriété de quinze hectares à Montecito, au sud de Santa Barbara, afin de la transformer en monastère. Le projet n’aboutira jamais, le couple divorçant en 1946.

De son vaste domaine californien, qu’elle rebaptise Lotusland, la cantatrice retraitée fait l’un des plus beaux jardins botaniques du monde. Elle y engloutit des fortunes considérables, n’hésitant pas à vendre le Théâtre des Champs-Élysées, en 1970, pour financer de nouveaux embellissements. L’année suivante, elle disperse même sa collection de bijoux aux enchères. La presse, enthousiaste, s’émerveille de cette « collection exotique de superbe facture ». Le total de la vente dépasse le double des estimations initiales.

Ganna Walska s’éteint lors de la décennie suivante, le 2 mars 1984.