
" L’amour d’une femme occupe toute son existence. " Cette célèbre maxime de Lord Byron s’applique parfaitement à la duchesse de Windsor (1896-1986), qui la cite elle-même en conclusion de ses mémoires. Dans l’esprit de tous, elle est associée au duc, éphémère roi Edward VIII, qui renonça au trône britannique pour l’épouser. Le couple qu’ils formaient, uni par des bijoux Cartier, marqua l’histoire.
De Baltimore à Londres
Bessie Wallis Warfield naît aux États-Unis en 1896. Grâce au soutien de son oncle, la jeune fille orpheline de père grandit dans la bonne société de Baltimore. L’été de ses 20 ans, elle rencontre Earl Winfield Spencer, aviateur au sein de la marine américaine. Mariés à l’automne 1916, ils vivent au rythme de ses multiples affectations, de la Floride jusqu’en Chine. Le couple n’y survit pas et divorce à la fin de l’année 1927.
L’année suivante, Wallis convole en secondes noces avec Ernest Simpson, entrepreneur dans le domaine du transport maritime. Installés en Angleterre, ils fréquentent le Tout-Londres et intègrent les hauts cercles de la société britannique. Wallis, qui s’y fait remarquer par son raffinement et ses goûts sûrs, est de toutes les soirées et raouts mondains.
WE
C’est justement lors d’une de ces occasions, en 1931, que Wallis rencontre Edward, prince de Galles. Ils se revoient à plusieurs reprises et avec toujours plus de régularité jusqu’en 1934. À cette date, leur relation ne fait plus de doute. Le père d’Edward, le roi George V, la désapprouve fermement : en tant que futur monarque et en conséquence chef de l’Église anglicane, il est impossible pour son fils de fréquenter une femme divorcée. Le jeune prince tient tête.
Pour prouver son affection à Wallis, tout en préservant une certaine discrétion, il lui offre un bijou aussi simple qu’intime : une croix latine en platine, exécutée en 1934 par Cartier. Huit autres suivent jusqu’en 1944, rassemblées sur un bracelet. Incrustées d’aigues-marines, d’émeraudes, de rubis, de saphirs jaunes, d’améthystes ou de diamants taille baguette, toutes sont datées et gravées au revers d’un message complice commémorant un événement personnel.

Une gravure, inaugurée par la première croix de 1934, y revient régulièrement : deux lettres, W et E, initiales des prénoms de chacun qui, réunies, forment le mot we signifiant « nous » en anglais. Un symbole fort, repris notamment par une broche de 1935 dans une composition aussi géométrique que précieuse, le W étant composé de saphirs et le E de rubis.
Abdiquer par amour
L’année suivante, le couple est confronté à l’histoire. La mort de son père, en janvier 1936, hisse le prince de Galles sur le trône britannique : il adopte pour nom de règne Edward VIII. Cependant, conscient que son rôle de monarque lui interdit d’épouser la femme qu’il aime, il renonce à la couronne et abdique en faveur de son frère le 16 décembre 1936.
Déchargé de ses fonctions, le nouveau duc de Windsor rejoint Wallis en France. Tout juste divorcée d’Ernest Simpson, elle réside au château de Candé. Le couple s’y marie en juin 1937. Pour bague de fiançailles, le duc offre à Wallis – désormais duchesse de Windsor – un anneau en or jaune surmonté d’une émeraude de 19,77 carats, réalisé par Cartier.
Le « goût Windsor », entre classicisme et exotisme
Ne remplissant plus que de brèves fonctions représentatives, le couple Windsor s’emploie à mener une existence mondaine consacrée à l’art de vivre et à l’élégance. Wallis s’y distingue, parée de bijoux Cartier, comme donne à le constater une célèbre photographie du couple datant de 1940 – l’une des premières officielles. On y voit côte à côte, dans un jardin de Hamilton, aux Bermudes, le duc et la duchesse, celle-ci portant au revers de sa veste une broche figurant un flamant au plumage chatoyant de saphirs, émeraudes et rubis. Il s’agit d’un cadeau de son époux, acquis l’année même chez Cartier.
Cette création illustre le goût de la duchesse, mariant classicisme et exotisme. Deux autres pièces d’exception en témoignent. La première est un spectaculaire collier commandé par le duc en 1947 à Cartier Paris. Constitué d’améthystes fournies par le couple et de turquoises, il n’est pas sans évoquer une draperie orientale. Le duc s’est personnellement impliqué dans cette commande en apportant ses suggestions aux dessinateurs ; une anecdote qui illustre le lien privilégié qui existe entre la Maison et son célèbre client. Un second exemple du style si reconnaissable de la duchesse, auquel contribue pleinement le joaillier parisien, est apporté par une bague de 1947. Une fois de plus, le dessin ose les métissages de couleurs puissantes, emblématiques de Cartier depuis le début du XXe siècle : l’anneau, façonné en or jaune torsadé, est dominé d’un cabochon de corail cerclé d’émeraudes dans une association orientalisante.

La panthère pour alter ego
La duchesse est l’une des premières clientes à succomber à la personnalité magnétique de la panthère, icône de Cartier.
Jeanne Toussaint, directrice de la joaillerie depuis 1933, s’empare de la thématique féline – inaugurée par Louis Cartier dès 1914 –, qu’elle appréhende comme l’évocation d’une féminité aussi élégante qu’affranchie. En 1948, elle supervise l’exécution pour la duchesse d’une broche émeraude surmontée par une sculpturale panthère en or jaune tacheté d’émail – la première panthère en trois dimensions restituée dans l’intégralité de son anatomie de l’histoire de Cartier[1].


L’année suivante, Jeanne Toussaint prend l’initiative de créer une deuxième broche panthère, tout aussi déterminante dans l’histoire de la joaillerie. Réalisée en platine, elle figure un félin au pelage de diamants et de saphirs, majestueusement juché sur un cabochon de saphir de 152,35 carats. Jeanne Toussaint ne s’inspire-t-elle pas de la duchesse qu’elle connaît si bien, de sa personnalité et de son charme singulier, lorsqu’elle supervise le dessin et l’exécution de cette pièce emblématique ? L’identification est de fait si évidente que la broche semble même en être l’alter ego. Aussi n’est-il pas étonnant que le couple ducal en réalise l’acquisition.
Wallis se procure chez Cartier d’autres créations panthères, dont un bracelet de 1952 représentant le félin étiré. Elle est suivie par bien des femmes, parmi lesquelles les plus élégantes, telles que Daisy Fellowes, Nina Dyer, María Félix ou encore Marella Agnelli.
La duchesse et le bestiaire de Cartier
Si la figure de la duchesse de Windsor demeure indissociable de la panthère, il est à souligner qu’un autre félin sait aussi la séduire : le tigre. Dès 1954, elle acquiert auprès de Cartier une paire de lorgnettes en or dont le manche figure l’animal. On le retrouve de nouveau deux ans plus tard pour un bracelet d’un remarquable réalisme. Le corps du fauve est entièrement articulé afin de pouvoir s’enrouler autour du poignet, alors que ses yeux d’émeraude et son pelage graphique d’onyx intensifient la vitalité de la composition. En 1969, Wallis complète cette pièce par une broche tigre de facture similaire pour composer une parure.

Outre les félins, on retrouve d’autres animaux dans la collection joaillière de la duchesse de Windsor. En plus de la broche flamant évoquée plus haut, elle possède notamment d’adorables broches-pinces têtes de canard et de carlin, son animal préféré.


Une collection exceptionnelle
Au cours de la décennie suivante, la santé du duc décline lentement. Il s’éteint en 1972. Endeuillée et affaiblie, la duchesse ne quitte plus leur résidence parisienne du bois de Boulogne jusqu’à son décès, en 1986.
L’année suivante est organisée, selon sa volonté, la vente de ses bijoux, dont les bénéfices sont destinés à l’Institut Pasteur. La presse, enthousiaste, évoque « the most important jewellery collection put together in the 20th century » (la plus importante collection de bijoux jamais réunie au XXe siècle). Cartier y enchérit et remporte la broche flamant. Depuis, elle enrichit la Collection Cartier aux côtés de plusieurs autres bijoux ayant appartenu à la duchesse, et elle est régulièrement exposée dans les institutions culturelles mondiales les plus réputées.

