
Depuis les années 1920, Cartier imagine des feuillages précieux de saphirs, émeraudes et rubis gravés et taillés en forme de végétaux. Baptisées « Tutti Frutti » dans les années 70, ces pièces riches en évocations sont emblématiques de la Maison.
De l’Inde à Paris
Dès le début des années 10, Jacques Cartier, directeur de la filiale londonienne de la Maison, se rend en Inde notamment à la recherche de pierres précieuses. Il y établit sur place des contacts avec des fournisseurs de gemmes singulières, sculptées avec finesse et réalisme, dans la grande tradition moghole remontant au XVIIe siècle.
Rubis, émeraudes, saphirs gravés et taillés en forme de feuilles, bourgeons, fleurs ou baies suaves… Cartier les réunit dans les années 20 pour des créations d’un genre nouveau, figurant des « feuillages » – selon le terme conservé dans les archives – s’épanouissant depuis des branches de platine. En plus de leur dessin, ces pièces se distinguent aussi par leur métissage puissant de couleurs. La combinaison du rouge, du vert et du bleu compose en effet une palette audacieuse pour la joaillerie occidentale, probablement inspirée par l’esthétique orientalisante des Ballets russes, qui triomphent sur les scènes parisiennes depuis 1909 et dont les décors et costumes chamarrés font forte impression sur les dessinateurs de la Maison.


Jovial et luxuriant, le Tutti Frutti – comme il sera baptisé plus tard – tranche avec l’esthétique sobre de l’Art déco, alors en vogue. Il annonce même un retour discret au naturalisme.
De grandes clientes
Dès la seconde moitié des années 20, ces pièces inédites séduisent une clientèle aussi illustre qu’exigeante. En tête figure notamment l’épouse du célèbre compositeur américain Cole Porter, née Linda Lee Thomas. Elle acquiert un premier bracelet en 1926, appairé d’un second – presque jumeau – quatre ans plus tard. En 1935, Linda Porter passe également commande à Cartier de deux broches assorties aux bracelets. Elle portera ces quatre bijoux tout au long de sa vie.

Si Linda Porter est parfois considérée comme la plus belle femme de son temps, on dit de Daisy Fellowes qu’elle en était la plus élégante. Héritière mondaine, femme moderne et active, elle règne sur la Café Society. Arbitre du raffinement, elle se montre le plus souvent dans des tenues extravagantes, qu’elle assortit aux bijoux qu’elle achète chez Cartier. Daisy Fellowes se passionne en particulier pour les pierres précieuses gravées, qu’elle choisit elle-même en Inde, puis rapporte à Paris pour les faire monter. Dans les années 30, elle confie à Cartier trois pièces – dont deux qu’elle avait achetées auprès du joaillier à la fin des années 20 – afin qu’il les remodèle en un collier hindou.
Jusqu’alors, l’apport indien des créations Tutti Frutti tenait plus à l’origine des gemmes qu’à leur style ou leur dessin. Ce collier marque une évolution. La Maison s’inspire fidèlement des parures cérémonielles de tradition hindoue : la pièce est suspendue à un long cordon et se porte bas sur la poitrine. Sa structure de platine articulée permet qui plus est de détacher la partie centrale afin de la porter en broche. Elle comportait deux saphirs sculptés en forme de boutons de fleur ou de feuilles, pesant 50,80 et 42,45 carats.
La fille aînée de Daisy Fellowes, la comtesse de Castéja, fit modifier le collier par Cartier en 1963 afin de le transformer en tour de cou. Les deux saphirs de la broche en ornent désormais le fermoir.


Un succès immuable
Dans les années 70, experts et journalistes prennent l’habitude de nommer « Tutti Frutti » ce style de bijoux inventé par Cartier. Il est tellement associé à l’art du joaillier que la Maison le dépose comme nom de marque en 1989.

L’engouement pour ces créations ne s’estompe en rien au fil des décennies. Tout en conservant sa fraîcheur, le Tutti Frutti évolue vers de nouvelles propositions esthétiques jouant des volumes. Traditionnellement opulent, il peut s’effeuiller pour des pièces plus ludiques. À l’instar d’un sautoir de 2015 aux lignes épurées et d’une modularité innovante : il se noue avec aisance pour se porter relié ou ouvert, long ou court, sur le buste ou dans le dos. Des créations plus spectaculaires ne sont pas en reste. Cartier a ainsi présenté en 2016 un collier spectaculaire, baptisé Rajasthan en référence à l’origine des pierres gravées indissociables du Tutti Frutti.

