
Animal fétiche de Cartier depuis 1914, la panthère accompagne au fil des décennies les évolutions de la société et du style de la Maison. Elle en est aujourd’hui l’une des icônes.
La panthère a toujours été une source d’inspiration dans les arts, et plus particulièrement dans les arts décoratifs. Issu des plaines d’Afrique et des forêts tropicales d’Asie, le félin prête son motif tacheté aux robes à la française de la fin du XVIIIe siècle puis, quelques décennies plus tard, décore les intérieurs de style Empire. Au début du XXe siècle, un engouement pour les fauves s’empare des artistes, qui se plaisent à figurer leur puissance et leur grâce. Les sculpteurs François Pompon et Rembrandt Bugatti, le peintre et sculpteur Paul Jouve choisissent la panthère comme objet d’étude et cherchent à la représenter de la manière la plus réaliste possible. Pour se faire, la plupart d’entre eux plantent leur chevalet dans les zoos pour saisir fidèlement les différentes attitudes du félin.

Chez Cartier, la présence de l’ouvrage Études d’animaux de l’illustrateur Mathurin Méheut (1882-1958) dans la bibliothèque historique des dessinateurs est un excellent témoin de l’intérêt porté à la représentation animale, et notamment la panthère – à en croire l’usure des pages consacrées au félin. En 1914, ses ocelles apparaissent en diamants taille rose et onyx sur le boîtier d’une montre-bracelet pour dame. Cette création constitue alors la première représentation du motif de la panthère dans la joaillerie occidentale moderne. La même année, la Maison commande au dessinateur George Barbier (1882-1932) un carton d’invitation illustrant « une dame à la panthère » pour l’exposition d’une collection de perles et de bijoux sur le thème de l’antique. Ainsi, l’union entre le félin et le joaillier est scellée : le motif tacheté rencontre un vif succès au cours des années suivantes sur nombre de bijoux et accessoires.


C’est en 1917 que la panthère se dévoile entièrement sur un étui à cigarettes, marchant de profil entre deux cyprès. Cadeau de Louis Cartier à son amie et future collaboratrice Jeanne Toussaint, cet objet présage du destin de l’animal au sein de la Maison sous le patronage de celle-ci. Son attirance pour la panthère se fait sentir à la fois dans ses commandes personnelles, ainsi que dans ses choix stylistiques pour la Maison, dont elle prend la direction de la création en 1933. Intimement liée au fauve, celle qu’on surnomme « la panthère » œuvrera pour lier profondément le félin à la représentation d’une féminité indépendante.

En 1935, le félidé est pour la première fois interprété en volume sur une bague. Représentées seulement dans la moitié supérieure de leur anatomie, deux panthères se font face dans une composition en miroir, maintenant entre leurs pattes avant un saphir rose-rouge. La musculature de l’animal se dessine et marque un tournant dans sa représentation. Jeanne Toussaint s’emploie à donner toute sa puissance et sa vivacité à la panthère, avec l’aide du dessinateur Pierre Lemarchand, qui lui façonne une silhouette plus sculpturale.



En 1948, une panthère en or jaune et tachetée d’émail noir se dresse sur une broche, surmontant une émeraude. Pour la première fois, la panthère est représentée en volume dans l’intégralité de son anatomie. Ce bijou est commandé par la duchesse de Windsor, personnalité connue pour son audace et son caractère. Un an plus tard, une autre broche est créée, un cabochon de saphir remplaçant l’émeraude. Réalisé sur l’initiative de Jeanne Toussaint à destination du stock, ce bijou sera à nouveau acquis par la duchesse de Windsor, l’animal devenant l’emblème de sa personnalité. D’autres grandes clientes de la Maison l’adopteront dans les décennies suivantes, à l’instar de Daisy Fellowes, María Félix, Marella Agnelli, Nina Dyer ou encore Juliette Gréco. Alter ego de la femme, elle l’accompagne dans son émancipation, offrant un fascinant symbole de liberté.

Désormais emblématique de la Maison, la panthère s’impose comme un thème incontournable, aussi bien en joaillerie qu’en horlogerie. En 1980, sa silhouette s’applique de façon inédite au double C entrelacé de Cartier sous la forme d’une broche aux deux félins stylisés en diamant, saphir et émeraude. Trois ans plus tard, la souplesse de sa silhouette inspire librement le bracelet d’une montre en or jaune, nommée Panthère, et deviendra une référence parmi les créations horlogères de la Maison.



L’introduction de la fonte à cire perdue, au tournant de 1980, enrichit profondément les registres d’expression de la panthère. Jusqu’alors principalement martelée à l’or, elle est désormais sculptée dans un bloc de cire, ensuite fondue dans le métal précieux. L’anatomie du félin est ainsi restituée avec davantage de finesse et de naturalisme. L’usage nouveau en joaillerie de cette technique ancestrale permet aussi de renouveler l’approche des créateurs : ils imaginent la panthère dans une multitude de postures inédites, toujours plus réalistes. Prédatrice, bondissante, gardienne, alanguie, joueuse, câline… Sa palette d’attitudes n’a de cesse de s’enrichir jusqu’à nos jours. Ainsi, en 2017, la collection Résonances présentait un collier où la panthère plonge littéralement dans une précieuse cascade d’aigues-marines, dans une scène saisissante de vie.



En parallèle de la veine naturaliste, Cartier explore aussi pour son icône des territoires créatifs plus stylisés, voire abstraits. La panthère s’inscrit notamment dans des dessins à la géométrie plus affirmée. Sa morphologie offre une structure aux lignes architecturées, sans concession au réalisme cher à la Maison, comme sur une bague de en or jaune, péridots, onyx et laque noire. En 2014, la même bague à la gueule rugissante se transforme au profit d’une architecture filaire. Un dessin qu’emprunte le flacon du parfum La Panthère, créé en 2016. Un an plus tard, son profil s’applique sur une pochette, la tête dessinée de façon géométrique par des facettes de couleurs différentes, tels les morceaux d’un puzzle recomposé.


De même, le pelage tacheté de la panthère est un motif en perpétuelle évolution. Fidèles à l’interprétation de la montre initiale de 1914, deux bagues, réalisées respectivement en 2005 et en 2008, développent un dessin encore plus stylisé. Les taches arrondies de la première suggèrent la vision d’un animal plus sensuel, tandis que celles anguleuses de la seconde évoquent son caractère prédateur. À partir des années 2000, les ocelles se pixélisent à la suite de la silhouette de l’animal ou se métamorphosent en une pluie de pierres précieuses. Cette esthétique abstraite renouvelle les codes de la représentation du félin et se retrouve dans de nombreuses collections. Pour Cartier Royal, présentée en 2014, la stylisation cadencée du tacheté sur un bracelet en or gris, onyx et diamants impulse une sensation de mouvement, comme si la panthère s’élançait du bijou.

Naturaliste ou stylisée, réaliste ou abstraite, en 2D ou en 3D, prédatrice ou câline, mais toujours noble, la panthère est indissociable du style Cartier.
