
Sans doute moins connue que ses contemporaines, la duchesse de Windsor ou la comtesse Mona von Bismarck, lady Lydia Deterding n’en fut pas moins une personnalité mondaine et une cliente importante de Cartier pendant plusieurs décennies.
De l’empire russe à l’Angleterre
Si un voile de mystère plane sur ses origines et sa date de naissance, on sait que Lydia Pavlovna Koudoyarov voit le jour et grandit à Tachkent, alors capitale du Turkestan – actuel Ouzbékistan. Fille d’un général du tsar, la jeune femme a 16 ans quand elle épouse un collègue de son père, général lui aussi, de trente ans son aîné. Elle le suit à Saint-Pétersbourg, où elle croise des membres de la famille impériale. Engagé dans la diplomatie, son mari est envoyé à Paris comme attaché d’ambassade, et Lydia découvre alors la France. Quelques années plus tard, elle rencontre Sir Henri Deterding, qui tombe amoureux d’elle. L’homme, bien plus âgé, est originaire des Pays-Bas. Fortune de l’industrie pétrolière, il a été adoubé chevalier commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 1920. Lydia divorce du général et épouse l’industriel à Londres en 1924. Le couple s’installe à Buckhurst Park, à Winkfield, dans le Berkshire, et a deux filles, Lilly et Olga.
Corail et Tutti Frutti
Lydia Deterding s’affirme comme une femme vive, déterminée, dont l’élégance naturelle s’épanouit en revêtant les créations des plus grands couturiers et joailliers. Parmi ces derniers se distingue Cartier. En 1929, elle acquiert auprès de la Maison une broche figurant deux hirondelles au plumage pavé de diamants. Elle se laisse ensuite séduire par la mode du corail et s’offre quelques créations associant la précieuse matière rouge-orangée à l’onyx, au diamant et à la perle fine.


À la même époque, le Tutti Frutti connaît déjà un beau succès et une paire de clips de 1930, ornés chacun d’une feuille d’émeraude gravée cernée de diamants et de boules de rubis, intègre l’écrin de Lydia en 1931, de même qu’un nécessaire en émail noir décorée de ces mêmes feuilles en émeraude gravée, de diamants et d’un rubis pentagonal.
Bijoux impériaux et Art déco
Certains aristocrates ayant pu échapper à la révolution bolchevique vendent peu à peu leurs pierres pour financer leur exil. Il en va ainsi du prince Félix Youssoupov, qui vit à Paris et détient un diamant historique connu sous le nom d’Étoile polaire. Confié à Pierre Cartier, le diamant est transféré à Londres, puis vendu en 1928 à Lydia Deterding sous la forme d’un collier de diamants et d’émeraudes. Il demeura dans sa collection jusqu’à sa mort, en 1980, et sera ensuite vendu aux enchères, desserti, avec quelques autres bijoux exceptionnels, dont la plupart sont signés Cartier. Dans les années 30, d’autres bijoux, de style Art déco, enrichissent un écrin déjà conséquent. Parmi ceux-ci, citons une paire de boucles d’oreilles en diamants, retenant chacune un saphir de forme goutte, et un bracelet composé de deux rangées de diamants, ponctuées par trois saphirs du Cachemire totalisant 19 carats. Au milieu des années 30, la vie personnelle de lady Deterding connaît un changement majeur. Son époux a rencontré une autre femme et désire l’épouser. Il divorce donc de Lydia en 1936 et rallie l’Allemagne avec sa nouvelle conquête – il mourra en 1939. Lydia dispose d’une fortune confortable et déménage à Neuilly-sur-Seine. Elle s’établira ensuite avenue Foch, en plein cœur de Paris.
Rubis birmans et diamants jaunes
Dans les années 50, le nom de lady Deterding figure de façon régulière dans les registres de la Maison, notamment pour une paire de bracelets en or et en diamant comportant une partie centrale en rubis pour l’un et en saphir pour l’autre façon, serti invisible. En 1951, Cartier lui livre une parure de diamants et de rubis de Birmanie d’une qualité exceptionnelle. Elle se compose d’un bracelet, de pendants d’oreilles et d’un collier retenant cinq palmettes amovibles – l’ensemble figurera lui aussi dans la vente orchestrée en 1980, à Genève, par une salle de vente prestigieuse, et est aujourd’hui conservé par la Collection Cartier. Tout comme le nécessaire de 1958 en or en forme d’œuf timbré de l’initiale de son prénom en diamant, qu’elle s’offre en 1960.

En 1964, elle commande des pendants d’oreilles d'inspiration florale, qu’elle porte notamment en février 1973, le jour où lui est octroyé l’insigne d’officier de la Légion d’honneur – récompense qu’elle reçoit pour avoir fait don de tableaux significatifs au musée du Louvre et pour avoir promu les bonnes relations entre la France et les États-Unis.
Peu avant sa mort, Lydia Deterding tombe sous le charme d’un jeune artiste ambitieux qui envisage même de l’épouser. Il a 28 ans et se prénomme Andy Warhol…
