Cartier et l’inspiration égyptienne

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Curieux des grandes civilisations, Cartier s’est pris tôt de passion pour l’Égypte antique. Architectures pharaoniques, amulettes, scarabées ou encore fleurs de papyrus agrémentent ainsi depuis plus d’un siècle le répertoire stylistique de la Maison.

Un premier contact avec l’empire des pharaons

Initié par la campagne de Bonaparte en 1798, l’engouement de la France pour l’Égypte demeure vif tout au long du XIXe siècle, stimulé notamment par l’ouverture du canal de Suez en 1869. La civilisation du Nil s’affirme alors comme une source d’inspiration majeure pour les arts en général, la mode et les arts décoratifs en particulier. Dans le domaine de la joaillerie-horlogerie, Cartier se distingue par des créations sophistiquées, comme en témoigne une châtelaine de 1873 ornée de médaillons représentant de face quatre têtes de pharaons coiffées du némès, emblème de leur pouvoir. Autre motif phare de l’Égypte antique adopté par la Maison : l’obélisque. Sa forme élancée, pointant fièrement vers les cieux, se prête idéalement à des objets décoratifs, à l’instar d’un thermomètre de 1906 et d’une pendule de 1908 pour lesquels le caractère des pierres dures sculptées s’harmonise étonnamment avec le raffinement de l’émail.

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Malgré l’exposition franco-égyptienne organisée au musée du Louvre en 1911, l’intérêt pour l’Égypte tend à s’essouffler les années suivantes. Elle n’est cependant jamais absente des registres de Cartier, qui ose l’appréhender à l’orée de la période Art déco dans une veine plus stylisée, en jouant de la géométrie et des couleurs. C’est le cas par exemple d’une broche-cliquet de 1920 en saphir, corail, onyx et diamant, dont le dessin graphique emprunte librement sa forme déployée au flabellum, éventail traditionnel composé de plumes de paon ou de feuilles de lotus fixées sur un long manche.

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L’égyptomanie des années 20

La découverte médiatisée du tombeau de Toutankhamon en novembre 1922 relance la curiosité des Occidentaux pour l’Égypte ancienne. Européens et Américains se pressent dans la Vallée des rois pour y admirer les vestiges des pharaons, qui influencent créateurs de mode, architectes, écrivains et joailliers.

Loin d’une vision fantasmée, exotique, Cartier se distingue de ses confrères par le respect consciencieux du répertoire iconographique et architectural égyptien. Pyramides, portiques, pylônes, colonnes, lotus, papyrus, hiéroglyphes, frises de profils hiératiques… Ces motifs emblématiques, les dessinateurs les croquent dans leurs carnets lors de visites au musée du Louvre ou à la lecture des ouvrages d’égyptologie mis à leur disposition. L’inspiration est féconde. La Maison propose en effet à sa clientèle une grande variété d’articles : des sacs du soir, des accessoires et des pendules ornés de scènes qu’on croirait extraites des murs des tombeaux des pharaons, des bracelets rigides dits « soudanais » ou « égyptiens », des broches en forme de temple ou représentant une oasis, des bijoux décorés de fleurs de lotus ou de papyrus stylisées et ébauchées d’un trait fin d’émail noir… De nouvelles matières nobles sont également employées, à l’instar du lapis-lazuli, et métissées dans des combinaisons chromatiques inédites qui se synchronisent idéalement avec la tendance Art déco de l’époque.

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Consécration de l’attachement sincère de Cartier à l’Égypte, le joaillier se voit décerner en 1929 un brevet de fournisseur officiel par le roi Fouad Ier. Cette même année, la Maison participait à l’Exposition française au Caire, au cours de laquelle elle présenta quelques-unes de ses créations.

Une nouvelle vie pour les antiquités

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Dans la veine égyptienne, la Maison se distingue surtout par des créations originales intégrant des fragments d’antiquités – qualifiées d’ « apprêts » dans les registres. Louis Cartier, en collectionneur éclairé, acquiert à partir des années 10 ces artefacts millénaires auprès de marchands spécialisés, notamment Kalebdjian et Dikran Kelekian, dont il fréquente régulièrement les galeries situées non loin de sa propre boutique, respectivement rue de la Paix et place Vendôme. Il porte souvent son choix sur des objets de taille modeste, amulettes ou statuettes de divinités, reconnus dans l’Égypte ancienne pour leurs vertus talismaniques. Un scarabée en faïence bleue, probablement employé dans des rites funéraires afin d’assurer au défunt sa résurrection dans l’au-delà, devient ainsi le motif central d’une boucle de ceinture ; une petite sculpture représentant la déesse Sekhmet à tête de lionne est destinée à une broche ; une figurine enchâssée dans une plaque en lapis-lazuli, amulette de bonne fortune en son temps, orne désormais un nécessaire.

Ces écrins modernes mettent d’autant plus en valeur les pièces d’archéologie qu’ils intègrent les codes graphiques, les motifs et les couleurs propres à l’Égypte antique. À titre d’exemple, le nécessaire de 1924 cité précédemment est décoré de hiéroglyphes gravés par les artisans de la Maison avec exactitude d’après une partie de la titulature du pharaon Thoutmosis III.

L’Égypte dans la création contemporaine

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La thématique égyptienne atteint son apogée à la fin des années 20. Si elle est certes plus discrète dans les décennies suivantes, elle continue à se distinguer à travers des créations exceptionnelles, comme par exemple un ornement de tête en halo de 1934 avec fleurs de lotus et une broche-pince de 1966 en or jaune, corail, turquoise et diamant, figurant le profil d’un pharaon couronné d’une perle. Surtout, les combinaisons de couleurs inspirées des antiquités égyptiennes – telle que l’association entre lapis-lazuli et turquoise – se pérennisent en s’élargissant à bien d’autres domaines de la production du joaillier.

En 1988, Cartier consacre une collection de joaillerie à l’empire des pharaons. Leurs lourds colliers pectoraux sont réinterprétés en des bijoux féminins où l’or jaune rivalise audacieusement avec l’or gris. Le motif animalier prédomine : les parures sont ornées de frises de panthères, alors que des scarabées aux ailes pavées de diamants ou tenant entre leurs pattes une turquoise s’invitent sur des colliers.

Désormais emblématique du bestiaire de la Maison, le coléoptère refait une apparition remarquée sur une broche en 2000. Lignes géométriques évoquant des circuits imprimés et contrastes des matières donnent naissance à un animal nouveau, bionique, qui questionne le futur à l’aube du nouveau millénaire.

Dans le répertoire contemporain, l’Égypte est réservée aux pièces prestigieuses. En 2008, la Maison présentait ainsi à la Biennale des antiquaires de Paris une spectaculaire pendule obélisque qui n’avait rien à envier aux premiers modèles du début du XXe siècle. Réalisée en pierre sculptée, cristal de roche et nacre, elle était embellie d’une statuette antique représentant le dieu Osiris, datée de la XXXe dynastie (380-342 avant J.-C). Toujours dans le domaine de l’horlogerie d’exception, Cartier faisait sensation en 2017 au Salon international de la haute horlogerie de Genève avec un bracelet-montre composé d’un rare ensemble de trente-deux émeraudes réparties sur une monture dont la forme était empruntée à la fleur de papyrus. Tout en assumant son inspiration égyptienne, le dessin revendiquait une liberté d’interprétation résolument abstraite. Une création intemporelle, comme un pont entre les âges et les civilisations.

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