Cartier New York

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C’est sous la houlette de Pierre Cartier (1878-1964) que la filiale américaine ouvre ses portes à New York en 1909. Le joaillier établit dans un premier temps ses salons de vente au 712 Fifth Avenue et, en 1917 acquiert un hôtel particulier à l’angle de la cinquième avenue et de la 52e rue. Appartenant à Morton et Maisie Plant, l’immeuble du 653 Fifth Avenue est échangé contre un double rang de perles fines. Cartier y inaugure sa nouvelle boutique en octobre de la même année.

Les premiers liens avec une clientèle américaine

La filiale new-yorkaise n’ouvre officiellement ses portes qu’en juillet 1909, mais les liens tissés entre le joaillier et la clientèle américaine sont depuis longtemps établis. Dès 1853, Louis-François Cartier (1819-1904) recevait déjà son premier client américain à Paris. En 1855, deux nouveaux clients sont enregistrés dans les livres comptables du joaillier, tous sont new-yorkais.

Si l’existence d’une clientèle américaine peut dans un premier temps paraître anecdotique, elle l’est beaucoup moins après l’inauguration en 1899 de la rue de la Paix : J.P. Morgan, Cornelius et W.K. Vanderbilt, Mrs Townsend, Astor ou Whitney figurent alors dans les livres de commande de la boutique parisienne. Certains possèdent une adresse à Paris, comme Mrs W.K. Vanderbilt senior, qui réside sur les Champs-Élysées puis rue Leroux, mais beaucoup ne sont que de passage dans la capitale et l’ouverture d’une succursale américaine s’impose rapidement comme une évidence.

Les débuts (1909-1917)

Il est difficile de dire avec précision quand Pierre Cartier s’est rendu pour la première fois aux États-Unis, mais le fait qu’il laisse à son frère Jacques (1884-1941) la direction de la filiale londonienne dès 1906 sous-entend qu’il était sans doute déjà question d’un développement outre-Atlantique. Il est probable que l’ouverture d’une boutique à New York ait été envisagée plus tôt, mais la panique bancaire d’octobre 1907, qui touche sévèrement les milieux banquiers new-yorkais, va mettre un frein au projet. En 1908, lorsqu’il est question de trouver un espace de vente, c’est Alfred Cartier (1841-1925) en personne qui fait le déplacement. Alfred est âgé de 67 ans quand il traverse l’Atlantique à bord de l’Océane, accompagné du secrétaire de son fils aîné Louis (1875-1942), René Prieur. Il jette son dévolu sur une bâtisse qu’il décrit comme « étant la plus française d’aspect, de style Louis XVI en pierre de taille ». C’est au troisième étage de cet immeuble de la Cinquième avenue, au numéro 712, qu’Alfred décide d’établir les premiers bureaux new-yorkais.

Par prudence, il préfère ne pas installer de magasin et s’en tenir dans un premier temps à « un ou deux salons élégants et un atelier de réparation ». La filiale américaine ouvre officiellement en juillet 1909 ; elle est alors dirigée par Pierre Cartier assisté d’un directeur des ventes, de deux vendeurs, d’un chef d’atelier et d’une équipe de sertisseurs.

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La Cartier Mansion (1917)

Le succès est immédiat et les grandes transactions, telles que la vente du diamant Hope, permettent d’asseoir la réputation du joaillier outre-Atlantique. C'est dans ce contexte qu’il devient rapidement nécessaire de trouver un nouveau lieu qui pourrait asseoir l'identité Cartier. Dès 1912, les correspondances new-yorkaises mentionnent ainsi la recherche du « Cartier building ». Il faut attendre 1917 pour que Pierre Cartier soit séduit par un hôtel particulier de style Renaissance à l’angle de la Cinquième avenue et de la 52e rue.

Construit en 1905 par l’architecte Robert Gibson pour le banquier Morton Plant, l’immeuble occupe une place stratégique dans l'ancien fief des Vanderbilt. Négociateur hors pair, Pierre obtient la propriété en échange d’un double rang de 55 et 73 perles fines d’une valeur d’un million de dollars, que l'épouse de Morton Plant, Maisie, souhaite à tout prix. Après une courte période de rénovation, la nouvelle boutique accueille ses premiers clients en octobre 1917.

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Les ateliers et la création

Si les grands bijoux sont tout d’abord envoyés de Paris, la distance pose d’évidentes difficultés logistiques, tandis que la douane rend prohibitive l’importation des bijoux déjà sertis. C’est probablement pour cette raison que les bureaux new-yorkais sont dès leur origine pourvus d’un petit atelier, au départ essentiellement composé de sertisseurs. Les croquis, plâtres et fragments de monture sont envoyés depuis Paris à New York, où les bijoux sont finalisés.

Le petit atelier des débuts prend rapidement de l’ampleur. En 1910, on compte 45 ouvriers dont  « un chef d’atelier, trente ouvriers, quatre polisseuses, huit sertisseurs et un horloger ». L'expansion de l’équipe de dessinateurs  est un autre indicateur de développement. Ainsi Alexandre Genaille, qui a fait ses débuts à Paris, arrive à New York dès l'année 1909. Il est rejoint par Maurice Duvallet en 1911, Émile Faure en 1912 et son frère, George Genaille, en 1914. 

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Le studio des dessinateurs restera exclusivement francophone jusque dans les années 50 avec l’arrivée du dessinateur américain Alfred Durante. Ce dernier dessinera des pièces emblématiques de la production new-yorkaise des années 60 et 70, notamment le collier exécuté pour Elizabeth Taylor en 1972 présentant la perle identifiées comme la Peregrina. Il faut attendre 1917 et l’acquisition du 653 Fifth Avenue pour que la maison new-yorkaise établisse un atelier d’importance.

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Situé au quatrième étage de la boutique, American Art Works emploiera jusqu’à 70 ouvriers, supervisés par Paul Duru, et sera complété par un second atelier, Marel Works en 1925. Si les pièces de haute joaillerie sont aujourd’hui toutes créées et réalisées à Paris, la Mansion possède toujours un petit atelier en activité.

Les clients célèbres et les grandes transactions

Dès les premières années, Cartier New York voit figurer dans ses livres de commande des noms prestigieux tels que les Astor, Vanderbilt et Rockefeller. Ceux qui auront largement contribué au succès de la boutique parisienne ne manqueront pas en effet de rester fidèles au joaillier dès son installation outre-Atlantique.

Un nombre important de clients provient alors du milieu de la banque et de l’industrie. Parmi les plus prolifiques, on peut citer Mrs Stotesbury (1865-1946) qui avait déjà fait l’acquisition de pièces majeures dans les années 10 à Paris. Originaire de Chicago et installée à Philadelphie, l’épouse d’Edward Townsend Stotesbury, banquier proche de J.P. Morgan, démontrait notamment un intérêt particulier pour les perles et les émeraudes.

Héritière de Postum cereal company et fondatrice de General food, Marjorie Merriweather Post (1887-1973) fait également des acquisitions majeures. La longue liste de ses achats témoigne d’une véritable passion pour les bijoux, notamment pour les pièces à caractère historique. En 1928, elle fait ainsi remonter par Cartier New York les pendants d’oreilles en diamants ayant appartenu à Marie-Antoinette. Cette même année, elle fait transformer un pendentif en platine, émeraudes et diamants, précédemment exécuté à Londres en 1922, en une grande broche d’épaule. Composée de sept émeraudes mogholes datant du XVIIe siècle, cette pièce est aujourd’hui visible au Hillwood Museum à Washington DC.

Pierre Cartier, ayant rapidement compris l’importance de la communication pour s’imposer dans le Nouveau Monde, se démarquera par des transactions très médiatiques. C’est ainsi qu’il réussit un coup de maître avec la vente du diamant Hope à Evalyn Walsh McLean (1886-1947). Fille d’un chercheur d’or et épouse de l'héritier du Washington Post, Mrs McLean dispose d’une fortune colossale et vient de faire l’acquisition de l’Étoile de l'Est, diamant poire de 94,80 carats vendu par Cartier Paris en 1908. En 1910, elle se laisse séduire par le fameux diamant bleu, qui fut découvert par Tavernier en 1669.

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Près d’un demi-siècle plus tard, la vente d’une autre pierre d’exception fait les gros titres. En 1969, Cartier devance Richard Burton dans l’achat d’un diamant poire de 69,42 carats, qui passe en vente aux enchères. C’est la première fois qu’un diamant atteint le seuil symbolique du million de dollars. Quatre jours plus tard, un accord est conclu entre l’acteur et la Maison : le joaillier accepte de lui revendre la pierre et obtient en échange l’autorisation de l’exposer dans ses boutiques de New York et de Chicago. En l’espace de quelques jours, plus de six mille personnes se pressent pour contempler le diamant Taylor-Burton dans les vitrines de la Mansion. Au même moment, l’atelier prépare le collier qu’Elizabeth Taylor recevra en cadeau.

À l’image des bijoux d’Elizabeth Taylor (1932-2011), de Gloria Swanson (1899-1983) ou de Grace Kelly (1929-1982), la clientèle hollywoodienne occupe une place particulière dans l’histoire du joaillier. Cartier et son célèbre écrin rouge deviennent une référence pour le cinéma. Plusieurs scènes de film prennent ainsi place dans la boutique de la Cinquième avenue, tel que Star! en 1968 avec Julie Andrews. En 1974, c’est couverte de bijoux Cartier que Mia Farrow donne la réplique à Robert Redford dans l’adaptation du Great Gatsby de F. Scott Fitzgerald. Les grands noms de Broadway sont également fidèles clients du joaillier : de Fred Astaire (1899-1987) en passant par Irving Berlin (1888-1989), dont les acquisitions démontrent un goût prononcé pour les émeraudes, ou Cole Porter (1891-1964), qui offrit à son épouse Linda Lee Porter de splendides créations Tutti Frutti.

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Les hommes : Pierre Cartier, Jules Glaenzer et les autres

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La filiale américaine est dirigée de 1909 à 1947 par Pierre Cartier (1878-1964), petit-fils du fondateur. Pierre, qui a épousé en 1908 une américaine de Saint Louis, Elma Rumsey, est très intégré dans la société new-yorkaise. Il adopte rapidement le rythme de vie de sa clientèle dont les déplacements sont fréquents, ce qui lui permet de se trouver au bon endroit au bon moment. Il fréquente ainsi la Floride en hiver, et passe la plupart de ses étés en France. Homme d’affaires aguerri, il comprend l’importance des techniques de communication modernes dans le Nouveau Monde.

Conscient qu’il défend les intérêts d’une Maison française sur un lointain continent, Pierre endosse un véritable rôle politique de représentation de son pays à l’étranger. Vice-président de l’Alliance Française à New York, Président de la Chambre française de Commerce de 1935 à 1945, Président du comité franco-américain pour l’Exposition de 1937, tels seront ses titres pour n’en citer que quelques-uns. Ce rôle politique est d’une importance primordiale et lui permet notamment d’assurer à Cartier une couverture importante lors de l’Exposition universelle de 1939 à New York.

Pierre s’entoure dès les premières années d’hommes de confiance qui participeront directement au succès de la filiale américaine. La plupart sont français et ont déjà fait leurs preuves à Paris. C’est le cas de Paul Muffat, qui devient directeur des ventes à New York en 1910. Ce dernier a débuté sa carrière à Paris et participa à la seconde exposition temporaire organisée à Saint-Pétersbourg en 1908. Il retournera à Paris dans les années 20, avant de s’occuper de la boutique de Saint-Moritz en 1937.

Autre acteur incontournable, le Franco-Américain Jules Glaenzer (1884-1977) retrouve Pierre Cartier en 1910 à New York, où il deviendra le grand vendeur de la boutique de la Cinquième avenue. Figure de la société new-yorkaise, il fréquente les grands noms d’Hollywood et de Broadway. Celui qui avait commencé sa carrière en tant que vendeur en 1907 à Paris sera nommé vice-président de Cartier New York en 1927, puis « Board chairman » en 1963 ; il prendra sa retraite à New York en 1966.

En 1947, Pierre cède la direction de la filiale américaine à Claude Cartier (1925-1975), le fils de Louis. Claude assurera la direction de la filiale jusqu’à sa vente en 1962. Celle-ci est alors successivement gérée par différents groupes d’investisseurs avant d’être rachetée par Robert Hocq en 1976.

Cartier New York aujourd’hui

La Maison new-yorkaise donnera naissance à deux créations phares lorsqu’en 1969 et 1971, le dessinateur italien Aldo Cipullo créé pour Cartier les bracelets Love et Clou, deux icones de la Maison aujourd’hui.

Cartier New York célèbre en 2009 son centenaire à l’occasion d’une exposition présentée au musée de la Légion d’honneur de San Francisco. Intitulée « Cartier and America », l’exposition reprend l’histoire d’un siècle de relations entre Cartier et sa clientèle américaine. Plusieurs institutions muséales majeures ont ainsi exposé la Collection Cartier aux États-Unis. C’est au Metropolitan Museum of Art qu’eut lieu la première grande rétrospective avec « Cartier 1900-1939 », successivement présentée en 1997 au Met, puis au Field Museum de Chicago en 1999. En 2005, c’est le Museum of Fine Arts de Houston qui présente « Cartier vu par Ettore Sottsass ». Plus récemment, le Museum of Contemporary Art de Denver présentait en 2014 « Brilliant: Cartier in the XXth century ».

Cartier est aujourd’hui devenu sans conteste une référence très intégrée dans la culture américaine. Deux premières dames choisiront ainsi de poser avec une montre Cartier à leur poignet. Après Jackie Kennedy, qui ne quittait pas sa montre Tank, Michelle Obama est photographiée en 2009 portant une Tank française sur le portrait officiel de la Maison Blanche.

En 2016, le 653 Fifth Avenue connaît des travaux de grande envergure. L’adresse légendaire de la Cinquième avenue fait ainsi peau neuve pour pouvoir fêter dignement son centenaire en 2017.

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