
Si le bestiaire de Cartier est peuplé d’animaux sauvages et domestiques, on en rencontre aussi d’autres mythologiques, à l’instar de la chimère. Une créature empruntée aux légendes ancestrales, domptée pour des créations aussi originales qu’emblématiques.
La chimère est un animal légendaire. Elle apparaît dans la mythologie grecque ancienne comme un monstre cracheur de feu à l’anatomie hybride : sa forme varie selon les récits mais la plupart la décrivent composée d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de reptile. Dans la tradition chinoise, la chimère est l’un des neuf enfants du dragon mythique. Féroce, elle revêt l’apparence d’un lion fantastique et pourfend les mauvais esprits. Son appétit pour les richesses constituerait en outre un gage de prospérité.
La chimère intègre tôt le bestiaire de Cartier : la plus ancienne mention dans les archives concerne une broche créée en 1883. Dans les décennies suivantes, la créature devient le thème récurrent d’exquises créations joaillières, à l’instar d’une broche d’inspiration chinoise de 1900 et, la même année, d’une boucle de ceinture en argent représentant le combat de dragons et de chimères, toutes deux mentionnées par Hans Nadelhoffer dans son ouvrage consacré à la Maison.
À partir des années 20, les dessinateurs de la Maison revoient profondément l’aspect de l’animal antique. En s’inspirant des traditions indienne et asiatique comme de la joaillerie antique, ils conçoivent des bracelets se terminant par deux têtes de chimère à gueule ouverte. Souvent exécutées en corail et rehaussées de pierres précieuses ou d’émail, ces créations originales détonnent en pleine période Art déco et s’imposent vite comme l’un des grands succès de Cartier jusque dans les années 30.

En horlogerie, la chimère est développée avec davantage de liberté dans ses attitudes. Noble et fière, elle orne deux modèles de pendules mystérieuses de 1924 et de 1926. Trois ans plus tard, on la retrouve sur une pendule magnétique dans une posture plus prédatrice, guettant une proie depuis le rebord d’une vasque ancienne en jade.



Sous l’impulsion de Jeanne Toussaint, directrice de la création à partir de 1933, la chimère connaît un regain de popularité dès les années 50. Son aspect inquiétant tend à s’atténuer au profit de créations empreintes d’une touche de poésie, réalisées pour beaucoup en corail rose saumon ou rouge, comme dans les années 20. Sur d’autres modèles, le corps des chimères est intégralement recouvert de pierres précieuses, comme en témoigne un flamboyant bracelet de 1960 en rubis, émeraude et diamant.
En alliant caractère et charme, la chimère séduit des clientes réputées pour leur raffinement et initiatrices de tendances. Parmi les plus célèbres, on compte notamment la cantatrice Ganna Walska, la baronne d’Erlanger ainsi que Daisy Fellowes, riche héritière américaine et rédactrice du Harper’s Bazaar.
La chimère fait aujourd’hui partie des créatures qui, comme la panthère et le crocodile, règnent sur le bestiaire de Cartier. En 2008, elle se voit ainsi dédier une collection, présentée lors de la Biennale de Paris au Grand Palais, aux côtés d’un autre animal mythologique : le dragon. À chaque nouvelle présentation de Haute Joaillerie, la Maison explore une nouvelle facette de la chimère, pour des créations toujours plus originales. En 2018, elle inspire aux dessinateurs un bracelet inédit qui, fidèle à l’esprit de Jeanne Toussaint, métisse corail, péridots, saphirs, onyx et diamants dans un feu d’artifice de couleurs.
