
Jagatjit Singh (1872-1949) régna sur la principauté de Kapurthala pendant plus de soixante-dix ans. Monarque cultivé et progressiste, il fut aussi un esthète admiré, commanditaire de somptueux palais et de parures Cartier.
Né en 1872, Jagatjit Singh accède dès l’âge de 5 ans au trône de Kapurthala, petite principauté située au nord de l’Inde, dans la région du Pendjab. Il lui faut cependant attendre sa majorité, en 1890, pour en obtenir les pleins pouvoirs. Il reçoit une éducation solide, dispensée par des précepteurs indiens et britanniques. La pratique des langues l’enthousiasme, notamment celle du français. Les sciences l’attirent aussi énormément, si bien qu’il ne manque pas, durant son long règne, de se rendre aux expositions universelles, au cours desquelles il prend le temps d’admirer, mais aussi de comprendre, les grandes inventions de son temps.
Dans son royaume, il met en place une politique avant-gardiste. Il défend l’accès à l’éducation des femmes, construit des hôpitaux, un réseau de chemins de fer et de somptueux lieux de culte pour les multiples confessions qui y cohabitent en paix. Bien qu’elle soit l’une des plus petites de l’époque, la principauté de Kapurthala est rapidement considérée comme étant la mieux administrée, ce qui vaut à Jagatjit Singh l’admiration de ses pairs – et de nombreuses invitations à parcourir le monde.
En 1893, Jagatjit Singh est convié par la reine Victoria au mariage de son fils et futur héritier, George duc d’York, avec Mary de Teck. Ce voyage marque le début d’une longue amitié avec la famille régnante britannique. Les demeures royales de Windsor et de Balmoral l’accueillent à de nombreuses reprises. En 1897, il assiste au jubilé de diamant de la reine.
Quatorze ans plus tard, en 1911, Jagatjit Singh est invité au Durbar de Delhi du roi George V. À cette occasion, le monarque anglais l’honore du titre de maharajah (« grand roi »), rang supérieur à celui de rajah, qu’il possédait jusqu’alors. Pour marquer l’événement, le nouvel empereur des Indes offre à son ami une montre à gousset en or, platine et émail décorée de ses armoiries, signée Cartier. C’est aussi lors de ces fastueuses cérémonies de 1911, aux côtés de l’Aga Khan III et des maharajahs de Patiala et de Nawanagar, entre autres, que le souverain fait la rencontre de Jacques Cartier. Déjà client du joaillier depuis 1906, il noue rapidement avec lui une relation de confiance qui le conduit à confier à la Maison – comme nombre de ses pairs – des joyaux issus de sa somptueuse collection familiale afin de les faire remonter sur des parures plus modernes, dans le style Art déco d’alors.
L’une de ces commandes les plus mémorables intervient en 1926 à l’occasion du jubilé d’or du maharajah de Kapurthala, soit les cinquante ans de son règne. Le souverain souhaite marquer les esprits et fait appel à Cartier pour imaginer un ornement de turban en diamant et perle rehaussé du trésor de sa collection : 19 émeraudes dont la plus impressionnante, de forme hexagonale, ne pèse pas moins de 177,40 carats. « Pour le front d’un grand prince » titre en 1931 le magazine The Spur dans une publicité présentant la parure. Surnommé « roi de l’émeraude », Jagatjit Singh l’arbore à d’autres prestigieuses reprises, notamment lors du jubilé d’argent de George V en 1935 et lors du couronnement de George VI en 1937, faisant entrer un peu plus encore la création dans la légende.

Grande figure mondaine, le maharajah côtoie le duc et la duchesse de Windsor, Elsie de Wolfe, Barbara Hutton, Consuelo Vanderbilt, Mona Bismarck ou encore Winston Churchill, qui vante « la personnalité charmante » et le « goût éclairé » du roi indien. Jagatjit Singh se sent à l’aise au cœur de ces soirées mondaines, au milieu de cette foule cosmopolite, cette Café Society cultivée et raffinée.
Dès lors, il fait bâtir et acquiert des demeures dans les villes les plus courues, à Paris notamment, près du parc de Bagatelle. L’hôtel particulier est entouré de terrains de tennis prêts à accueillir les nombreux invités de ses tea parties. Il est situé non loin de Longchamp, car le maharajah, féru de sport et particulièrement de courses hippiques, multiplie les apparitions à l’hippodrome. Il voue en outre une réelle admiration à la culture et au style français. En 1902, il fait construire par l’architecte Alexandre Marcel à Kapurthala le palais royal, surnommé « L'Élysée », l’audacieux mélange de décors ancestraux rajputs ou indo-moghols et de références au style classique inspirées des châteaux de Versailles et de Fontainebleau. De France, il ramène aussi des tapisseries des Gobelins, de la porcelaine de Sèvres ou encore du mobilier XVIIIe siècle.

Cette passion des beaux objets et des belles parures, Jagatjit Singh l’a assurément transmise à ses six enfants et descendants, comme en témoignent les archives de la Maison et la Collection Cartier. Cette dernière dénombre en effet quatre modèles de montres ayant appartenu au fils aîné du maharajah, le prince Paramjit Singh. Parmi elles, une montre-bracelet de 1932 en platine, or rose et rubis, munie du plus petit mouvement mécanique jamais conçu, et un autre modèle rare, acheté en 1950, en forme de gouvernail. Distingué et attentif aux tendances mondaines, comme son père, le prince fait aussi l’acquisition d’un pince-cigarette en or et d’un étui à cigarettes en or rehaussé de saphirs. Son unique sœur, la princesse Amrit Kaur de Kapurthala, s’offre en 1931 un nécessaire à l’effigie de la déesse égyptienne Maât en or, émail noir, platine et diamant.



Enfin, la princesse Karam de Kapurthala, belle-fille du maharajah, passe commande à Cartier en 1934 d’un collier en or et pierres précieuses, dont les motifs s’inspirent d’un pendentif personnel. La même année, la jeune femme, personnalité très en vue de la Café Society, est immortalisée par Sir Cecil Beaton dans les pages de Vogue, parée du fameux bijou.


