
Jacques Théodule Cartier (1884-1941), le plus jeune des frères Cartier, après Louis et Pierre, et petit-fils du fondateur de la Maison, prend la tête de Cartier Londres en 1909. Avec son regard affûté, son sens des affaires et sa personnalité affable, Jacques contribue à l’essor considérable de la branche londonienne, qui bénéficie également des nouvelles relations de confiance qu’il établit avec l’aristocratie indienne et de sa rencontre avec des fournisseurs étrangers au cours de ses nombreux voyages, de l’Inde au golfe Persique.
Jacques Cartier, le dernier des trois frères ayant bâti la renommée mondiale de la Maison Cartier, était trop jeune pour aider l’aîné, Louis, lorsque celui-ci inaugura la boutique parisienne du 13, rue de la Paix, en 1899. Mais au moment où Cartier grandit et s’installe tout naturellement à Londres en 1902, poussé par le couronnement d’Edward VII, l’heure était venue pour Jacques de s’investir davantage dans l’affaire familiale.
Initialement à la tête de la boutique, située alors au 4 New Burlington Street, aux côtés de son frère Pierre, il dirige ensuite seul la filiale londonienne de la Maison. Sous sa direction, Cartier Londres déménage dans un lieu bien plus majestueux, au 175-176 New Bond Street, où la boutique se trouve encore de nos jours.


La reconnaissance royale
Peu après, en 1911, pour célébrer le couronnement de George V, Jacques expose dans la nouvelle boutique une collection de 19 diadèmes – tous n’étant pas des créations Cartier – portés par des invités lors de la cérémonie. Cette même année, il reçoit le brevet officiel de la reine Alexandra, sept ans après que la Maison s’est vue conférer son premier brevet officiel, accordé par son époux, le roi Edward VII.
Dès lors, de nombreuses têtes couronnées britanniques et leurs consorts commandent et portent les créations de Cartier Londres. Qu’il s’agisse de petites pièces intimes (telle les charms en forme de croix échangés entre le duc et la duchesse de Windsor au cours de leur relation) ou de majestueux ornements de tête, ces pièces figurent aujourd’hui parmi les joyaux les plus célèbres du monde. Le futur roi George VI fit l’acquisition de l’un d’eux, le diadème Halo, réalisé en 1936 pour son épouse. Il est souvent porté par leur fille, la princesse Margaret, qui l’exhibe en particulier lors du couronnement de sa sœur Elizabeth II, en 1953. Plus récemment, en 2011, Catherine Middleton choisit de porter cette pièce emblématique le jour de son mariage avec le prince William.


Les voyages, sources de liens
1911 marque un certain tournant dans la vie de Jacques : afin de participer au durbar de Delhi en l’honneur du nouveau souverain, George V, il effectue cette année-là le premier d’une longue série de voyages en Inde. Il rentre en Europe en 1912 en passant par le golfe Persique. Il écrit alors à son frère Louis : « Si j’ai bien compris ma mission, le travail le plus important qui m’a été confié pendant mon voyage aux Indes, était d’investiguer le marché des perles et de rapporter de quelle façon nous pouvons le mieux nous ravitailler. »
Cependant, Jacques saisit également l’occasion pour faire la rencontre, durant la semaine du durbar, de plusieurs dignitaires locaux, dont les maharajahs de Kapurthala, Patiala et Nawanagar. Tous deviendront de fidèles clients de la Maison pendant des décennies. Les journaux de voyage et les photographies de Jacques témoignent de ces riches expériences.

Le collectionneur et grand connaisseur
Jacques éprouve un profond intérêt pour la vie et la culture des lieux qu’il visite, intérêt qui ne manque pas d’inspirer, depuis les premiers temps, l’esthétique de la Maison à Londres. L’exposition d’objets indiens qu’il organise à son retour en Europe, en 1912, laisse entrevoir son désir d’introduire ce type d’objets dans le répertoire de Cartier, à l’instar des nombreux volumes qui alimentent sa bibliothèque personnelle.

James Gardner, qui travaille comme jeune apprenti dessinateur chez Cartier Londres dans les années 1920, décrit ainsi la façon de faire de son mentor : « Jacques était ce que l’on appelait à l’époque un gentleman. Il était sensible, aimable et il vivait pour la création… J’ai découvert que l’on n’attendait pas d’un jeune apprenti qu’il fasse surgir la beauté du néant… Tout surgit de quelque chose de préexistant, et [sa] chambre possédait une bibliothèque pleine d’objets d’époque : des tapis chinois, des bronzes celtiques, des poignées d’épée japonaises ou encore des arabesques, créés pour le plaisir des empereurs, des samouraïs ou des califes. »
Le goût de Jacques pour l’incorporation des apprêts dans des pièces joaillières ou des accessoires dépasse néanmoins son simple intérêt personnel. Ce n’est pas un hasard si les pièces dites « égyptiennes » les plus emblématiques de Cartier Londres datent de fin 1923 et du début 1924, peu après la découverte fascinante du tombeau de Toutankhamon, en novembre 1922.



Cartier venait tout juste d’ouvrir son atelier à Londres – le English Art Works, qui célébra son centenaire en 2021 – et « l’Égyptomanie » alors en vogue offrait une occasion parfaite de démontrer le savoir-faire britannique. Les ateliers produisent donc des créations dans l’air du temps, qui déclinent le style inimitable de Cartier, des objets uniques combinant antiquités égyptiennes, notamment en faïence, gemmes et métaux précieux. Certaines de ces pièces apparaissent dans l’un des premiers encarts publicitaires de Cartier Londres en janvier 1924, publié dans le magazine The Illustrated London News.

« Un ami formidable »
Les liens tissés par Jacques avec les princes indiens en 1911 portent leurs fruits dans les années 1920 et 1930. Plus particulièrement, Jacques et le maharajah de Nawanagar (1872-1933) nouent au fil du temps une relation d’amitié, comme en témoigne la correspondance entre les deux hommes.
Quelques-unes des pièces les plus remarquables conçues par Cartier Londres étaient destinées au maharajah de Nawanagar, dont un imposant collier d’apparat réalisé en 1931.

L'expertise de Jacques sur les gemmes était particulièrement appréciée des maharajahs, parmi d’autres clients, qui n’hésitaient pas à faire appel à lui comme personne de confiance pour l’achat de pierres d’exception ou comme intermédiaire pour leur vente (ce fut notamment le cas pour les diamants connus sous le nom d’Étoile polaire et de Tête de bélier pour le compte du prince Youssoupoff).
Si autant de clients sont restés tellement fidèles à Cartier Londres à travers le temps, c’est sans doute en partie aussi la preuve des qualités personnelles de Jacques. Après son décès en 1941, Lady Oxford, épouse de l’ancien Premier ministre britannique Herbert Henry Asquith, écrivait à son sujet : « …plus rare qu’un grand artiste ou qu’un créateur de bijoux précieux, il était un ami formidable […] et le meilleur ambassadeur entre la France que nous aimions et l’Angleterre qu’il admirait. Ce n’est pas toujours louable de dire de quelqu’un qu’il n’a pas d’ennemis, mais je pense que Jacques Cartier n’a pas eu un seul ennemi sur cette terre. »
Jacques laisse derrière lui son épouse Nelly et leurs quatre enfants : Jacqueline, Alice, Jean-Jacques et Harjes. Leur fils aîné, Jean-Jacques, dirigea la branche londonienne de Cartier de 1946 à 1974.
