Félix et Irina Youssoupov

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Nièce du tsar Nicolas II, dernier empereur de Russie, la princesse Irina Alexandrovna (1895-1970) épouse en 1914 le prince Félix Youssoupov (1887-1967), célèbre notamment pour avoir fomenté l’assassinat de Raspoutine. Le couple quitte la Russie à la suite de la révolution de 1917 et s’installe en Europe, emportant avec lui une partie de sa riche collection d’œuvres d’art et de bijoux.

Le prince Félix, unique héritier de la dynastie Youssoupov

Né le 11 mars 1887 à Saint-Pétersbourg, Félix Youssoupov est l’unique et dernier héritier de la famille princière des Youssoupov, après le décès précoce de son frère aîné Nicolas en 1908. La dynastie d’origine tatare aurait fait fortune grâce à ses propriétés terriennes et ses participations dans de multiples sociétés à travers le pays. Outre de nombreux domaines, la mère de Félix, la princesse Zénaïde Youssoupov, transmet à son fils l’une des plus grandes collections d’œuvres d’art de Russie, ainsi qu’un important ensemble de bijoux et de pierres précieuses hérité de leurs ancêtres. Parmi eux, on compte nombre de pièces historiques, à l’instar d’une paire de pendants d’oreilles en diamant réputés pour avoir appartenu à Marie-Antoinette, mais également des créations Cartier acquises à partir du début du XXe siècle.

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Après une enfance paisible à Moscou, le prince partage son temps entre la Russie, ses voyages en Europe et ses études à l’université d’Oxford, où il dirige le club d’automobile et fonde l’Oxford University Russian Society. Ses premiers échanges avec Cartier datent de 1908, lors de la première exposition-vente organisée par la Maison à Saint-Pétersbourg. Parmi les créations présentées, le prince choisit une sélection de montres. En 1912, il complète sa collection d’une montre-pendentif à motif panier en platine, diamant et émail translucide, réalisée par la Maison en 1909 dans le style Louis XVI alors en vogue. L’année suivante, il acquiert une épingle de voilette surmontée d’une perle fine, peut-être offerte à sa future épouse, la princesse Irina. Les deux pièces sont aujourd’hui conservées dans la Collection Cartier.

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Un mariage princier

En 1913, la famille Youssoupov annonce les fiançailles du prince Félix avec la princesse Irina Alexandrovna, aînée et unique fille du grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch et de la grande-duchesse Xenia Alexandrovna de la dynastie Romanov. Admirée pour sa beauté, la princesse est par sa mère la nièce du tsar Nicolas II et par son père l’arrière-petite-fille du tsar Nicolas Ier. L’union d’Irina et de Félix marque un moment important de la vie mondaine russe. Il s’agit en outre de l’une des dernières réunions de la haute société avant la Première Guerre mondiale et les événements de 1917.

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Des pièces de la Maison Cartier font partie de la corbeille de mariage d’Irina. Lors de la cérémonie célébrée le 22 février 1914 au palais Anitchkov à Saint-Pétersbourg, la jeune femme porte notamment un diadème créé en 1911. La pièce est particulièrement emblématique du savoir-faire de la Maison par son alliance subtile entre l’éclat du diamant et la transparence du cristal de roche, une matière précieuse peu utilisée à cette époque en joaillerie en raison de la difficulté à la tailler. Cartier en perçoit néanmoins tout le potentiel stylistique au début du XXe siècle et l’utilise, surtout poli, pour diffuser la lumière de compositions monochromes. Le diadème, avec son cristal de roche taillé en baguettes d’une remarquable finesse, est un exemple majeur de ce type de création. Par ses lignes épurées et son dessin à dominante géométrique, il est aussi caractéristique des premières pièces dites de « style moderne », qui annoncent la période Art déco dès le début du XXe siècle.

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Une vie en exil

Fin 1916, en pleine guerre, la Russie s’enfonce dans la crise. À la cour, beaucoup soupçonnent le mystique Raspoutine d’exercer une influence néfaste sur la famille royale. Félix Youssoupov est un opposant vigoureux du starets, contre lequel il fomente un complot avec plusieurs de ses proches. Début 1917, il est reconnu coupable pour sa participation à l’affaire ayant mené à l’assassinat de Raspoutine. Le couple Youssoupov est alors contraint de quitter Saint-Pétersbourg, assigné à résidence dans son domaine de Rakitnoïe, à l’ouest du pays. Quelques mois plus tard, alors que la révolution éclate et que le tsar abdique, les Youssoupov s’installent en Crimée où se trouve une partie de leur famille et de leurs proches, dont l’impératrice douairière Maria Feodorovna

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En 1919, ils quittent définitivement la Russie à bord du HMS Marlborough, séjournent brièvement en Italie, puis en Angleterre, avant de s’installer à Paris en 1920. Les Youssoupov parviennent à emporter avec eux une partie de leur collection d’art ainsi que des bijoux et pierres précieuses. Au cours des années 1920, Félix fait appel à l’expertise de Cartier afin d’organiser la vente de certaines pièces. L’arrangement concerne une émeraude goutte, une paire de pendants d’oreilles en diamant ayant a priori appartenu à Marie-Antoinette, le diamant gris de 35,67 carats nommé Sultan du Maroc et le célèbre diamant Étoile polaire. Ce dernier, une impressionnante pierre coussin de 41,28 carats, est serti par le joaillier sur un collier de diamants et d’émeraudes vendu à Lady Deterding en 1928.

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La Maison acquiert également le diamant rose de 17,47 carats Tête de Bélier – vendu à Daisy Fellowes en 1928 – et de plusieurs perles fines. Plus tard, le couple se séparera aussi d’une perle noire, probablement elle aussi achetée par Lady Deterding, et de la perle dite « Pélégrina », vendue en Suisse en 1953.

Une partie du trésor des Youssoupov est néanmoins restée en Russie. En 1925, le gouvernement soviétique met au jour de nombreux bijoux, vraisemblablement cachés dans leur palais de Saint-Pétersbourg depuis le départ en exil du couple princier. Parmi les pièces expertisées se trouvent plusieurs créations Cartier, dont le diadème en diamant et cristal de roche porté par Irina lors de son mariage, aujourd’hui disparu.